La délinquance du miroir / Cécile Goujon
Plaidoirie de Cécile. Membre de la nouvelle conférence jeunes de Pont-Audemer.
Cécile a été consacrée en décembre : "grande finaliste régionale "au concours de plaidoiries des lycéens pour les droits de l'Homme, organisé au Mémorial de Caen.
Lors de la finale Nationale, elle vient donc de remporter le prix du jury Lycéen et celui de l'Engagement Citoyen.
Nous pouvons tous lui rendre hommage pour son courage et "sa plume".
Cécile a été consacrée en décembre : "grande finaliste régionale "au concours de plaidoiries des lycéens pour les droits de l'Homme, organisé au Mémorial de Caen.
Lors de la finale Nationale, elle vient donc de remporter le prix du jury Lycéen et celui de l'Engagement Citoyen.
Nous pouvons tous lui rendre hommage pour son courage et "sa plume".
Cécile Goujon
Lycée Saint-Ouen
Saint-Germain Village
La délinquance du miroir
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Membres du jury,
31 mai de l'année 1992, jour de la fête des mères, un petit être à la voix perçante et aux poings serrés
ouvrait les yeux à la vie. Ce nouveau-né, c'était moi. La naissance de ce petit poupon joufflu au teint rosé,
accueilli dans un foyer chaleureux et aimant, fut ponctuée par les paroles cinglantes qui jaillirent de la
bouche de la sage-femme: « Ce bébé est bien trop gros ». Je pesais 4kg400. Cette annonce prit l'allure d'un
couperet aiguisé, préfigurant ce qui allait être mon enfance puis mon adolescence.
Ce matin, je me maquillais, je souriais, enjouée et je songeais à ce que pouvait me répondre mon miroir. Il
me dirait, j'en suis certaine: « Pourquoi es-tu si joyeuse, comment est-ce possible, toi, personne en
surpoids, alors que la société fait tout pour te rejeter et te culpabiliser ?! » Je suis une Délinquante du
Miroir.
Tout comme moi, 1,7 milliards d'individus dans le monde sont victimes de discrimination physique ; tout
comme moi, ils sont considérés comme délinquants de ce fameux miroir, délinquants de ladite société ;
tout comme moi, ils subissent les mêmes peines, le même désarmement face à la stigmatisation
généralisée, la même injustice, le même Racisme.
Comment la France, Berceau des Droits de l'Homme, mais qui a malgré tout supprimé son secrétariat en
juin 2009, peut-elle ne pas réagir face à de telles discriminations ? En effet, dans de multiples domaines, on
assiste à une stigmatisation des personnes obèses.
La personne en surpoids est socialement incorrecte.
Oui, Socialement Incorrecte notamment lorsqu'elle emprunte des moyens de transport tels que l'avion.
Sophie, 27 ans, future mariée et femme comblée, s'angoisse à l'idée de partir en voyage de noces à l'Ile
Maurice. Alors qu'elle devrait se réjouir de découvrir une île paradisiaque aux chaleurs douces, ses 120 kg
deviennent une honte et une humiliation pour elle.
Pensez donc, un gros dérange en débordant sur le siège du passager voisin. Il peut rencontrer des
difficultés à boucler sa ceinture ou pire, se faire mesurer le tour de taille devant d'autres clients.
Quelle honte !
Socialement incorrect dans le domaine vestimentaire où le manque de choix de vêtements adaptés à l'âge
et à la morphologie de chacun est à déplorer. Ne voit-on pas des rayons spécifiques grande taille dans les
magasins ? N'y a t-il pas dans ce cas, une volonté de ghettoïser la personne en surpoids ?
Aussi, ces individus n'ont pour choix vestimentaire, que des modèles sacs, sans aucune originalité de forme,
ternes et souvent à des prix excessifs pour une qualité moindre.
Bien sûr, un gros n'a pas à être coquet, il n'a pas besoin de toilettes, pour mettre quoi en valeur ?
Quelle honte !
Socialement Incorrect, puisqu'au niveau des médias, l'obèse est toujours ridiculisé, humilié ou bien relégué
à des rôles de « bon gros », mollasson, un peu gauche. Souvenez-vous de l'émission de télé-réalité, mettant
en scène cet « Incroyable Fiancé ».
Incroyable, évidemment, il est si gros.
Quelle honte !!
Socialement incorrects, puisque même des réseaux sociaux tel Facebook laissent libre cours à des propos
infamants sur ces personnes, je cite : « Bougez-vous bande de sacs à viande », ou bien encore je cite : « Il
ne faut pas se voiler la face, les gros, c'est chiant. Ils prennent toujours deux places et quand ils ne
prennent pas deux places, on ne peut pas se mettre à côté d'eux parce qu'ils puent la transpiration! ».
Quelle honte !
Economiquement Incorrect aussi ! Les individus souffrant de surcharge pondérale n'échappent pas à la
dure loi de la différence là où l'égalité devrait être le maître-mot. En effet, il est souvent inconcevable pour
un patron d'embaucher un « gros ». L'image de la société serait alors bien défigurée si un gros vous
accueillait ! Ce n'est pas esthétique et puis il faut avouer que ceux-ci n'ont pas de volonté, ils n'arrivent
même pas à maigrir !
Lors d'une discussion avec une étudiante d'une vingtaine d'années, celle-ci me narre de façon naturelle sa
facilité à être embauchée dans un fast-food connu. Pendant son entretien, l'aveu du patron est
déconcertant: « Vous avez de la chance, mademoiselle, vous avez un physique harmonieux, vous serez à la caisse, sinon, j'aurais été forcé de vous mettre en cuisine, à l'abri des regards, vous comprenez ? »
Rappelons tout de même que la devise de cet établissement est: « Venez comme vous êtes ! ».
Selon une enquête de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité), les
candidats obèses ont en moyenne deux fois moins de chances de décrocher un entretien d'embauche.
Alors que dire de l'article 23 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui stipule
que « Toute personne a droit au travail », Y compris les personnes en surpoids, non ?
Quelle honte !
Economiquement Incorrect, ces gens en surcharge pondérale qui demandent un prêt ou contractent une
assurance. Dans le meilleur des cas, il y aura une surprime, dans le pire, un refus.
Pensez donc, c'est un risque supplémentaire. Mais se demande-t-on si elles sont en bonne santé, ces
personnes ? Non.
Quelle honte !
Ethiquement Surprenant, cet organisme américain, l'Association Nationale pour l'Acceptation des
Personnes Grosses, qui se bat pour changer le regard sur l'obésité en développant des discothèques
réservées uniquement aux « gros ».
Mais le problème n'est-il pas pris à l'envers ? Ne serait-ce pas une forme d'exclusion que de parquer les
obèses sous prétexte de les aider à s'intégrer ?
Quelle honte !
Ethiquement et Economiquement Incorrecte, cette pilule miracle, en vente libre sous le nom de Alli et au
prix de 70 euros la boîte. Ce coût équivaut à un traitement d'un mois. Cependant, l'efficacité variable en
matière de perte de poids est évaluée au bout de six mois minimum soit 420 euros dépensés. Ce médicament aux effets secondaires importants, mis en vente depuis le 6 mai 2009, peut occasionner lors
de l'arrêt du traitement, une reprise du poids de 35% des kilos perdus.
Quelle honte que de voir des grands groupes pharmaceutiques comme Glaxosmithkline, amasser des
fortunes sur le malheur des gros et le gouvernement ferme les yeux sur ces abus ; silence convenu en
contrepartie des ventes de médicaments génériques qui font perdre des profits à ces mêmes laboratoires.
Quelle honte !
Que de discriminations. Mais il faut se rendre à l'évidence, celles-ci sont bien plus cruelles, bien plus
difficiles à supporter qu'elles isolent les personnes en surpoids. En effet, beaucoup de dispositions sont
mises en place pour lutter contre les discriminations raciales, religieuses..., mais pour l'obèse, la seule
chose qui compte, c'est qu'il ne le soit plus, on hait l'obèse, on le fuit, on ne veut pas de lui.
Je ne fais pas ici l'apologie du surpoids simplement, je m'insurge contre ces diktats de notre société qui
n'acceptent pas la personne en surcharge pondérale et la culpabilise à longueur de journée.
Mais alors, que penser de cet article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, je cite:
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». TOUS les êtres humains... y
compris les individus obèses, non ? EGAUX EN DIGNITE ET EN DROITS.
Alors, que faisons-nous ? Rien ou pas grand chose.
Nous devons nous mobiliser pour que cesse ce scandale.
Boycottons ces produits miracles pour perdre des kilos, ces potions vendues à prix d'or, mises sur le
marché par l'HAS (Haute Autorité de Santé) comme cette pilule anti-obésité en vente libre.
Faisons remonter des pétitions au CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) par l'intermédiaire de nos élus.
N'ayons pas peur de saisir la HALDE dès que nous enregistrons une discrimination.
Saisissons-la, pour qu'à l'avenir, les gros ne soient plus ridiculisés dans des films ou des publicités, pour que
nous ne puissions plus voir des défilés de mode telle cette émission du matin sur une chaîne généraliste qui
présente des modèles en taille 40-42 pour les rondes reléguant ceux qui enregistrent des tailles de 48-50
voire plus à une situation de monstre.
Exigeons de notre gouvernement qu'il crée des lois en faveur de l'acceptation des gros dans notre société,
qu'il oblige chaque distributeur vestimentaire à avoir des vêtements grande taille, et surtout, un choix de
vêtements colorés et à la mode.
Changeons nos mentalités. Les personnes en surpoids ont le droit de mener une vie digne et heureuse.
Elles ne doivent plus être stigmatisées de la sorte.
L'éducation à la tolérance doit trouver sa place au sein des établissements scolaires.
Dans les transports, des solutions aux problèmes existants doivent être trouvées afin que chacun puisse
voyager sans crainte et sans surtaxe.
Dans le milieu médical, le personnel soignant méconnaît souvent les difficultés à maigrir de façon durable
et manque parfois d'éthique au niveau de la prise en charge des personnes en surpoids.
Il me semble important de saisir les Conseils de l'Ordre en leur rappelant qu'ils ont vocation à soigner alors
qu'ils tiennent souvent un discours moralisateur.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Membres du jury,
Nous Existons, Nous Vivons, Nous Aimons,
« Etre c'est être différent, c'est n'avoir pas de sosie, pas même dans le miroir».
Le Mémorial de Caen -Esplanade Général Eisenhower -BP 55026 -14050 Caen Cedex 4
Tél : 02 31 06 06 44 / Fax : 02 31 06 01 66 / @ : contact@memorial-caen.fr
www.memorial-caen.fr